Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée
255
JULES RENARD


V


Le lendemain soir, la Griotte repartit en chasse comme de coutume. Il lui sembla qu’elle suivait Pierre plus aisément. Il marchait au milieu de la route sans tourner la tête de droite et de gauche, comme une personne honnête qui se promène pour se promener et n’a rien à craindre. Il s’enfonça tranquillement dans l’ombre des acacias. Elle crut le tenir, avec l’autre peut-être. Mais brusquement il se retourna et s’écria :

— Si tu crois que je ne te vois pas ! Mais tu perds ton temps.

Et il s’enfuit, sauta par-dessus un petit mur de pierres sèches. Elle avait beau crier :

— Vas-tu m’ écouter, vas-tu m’écouter !

Il se sauvait toujours, peu à peu rétréci et rapetissé par les ténèbres. Longtemps encore elle le vit courir dans le pré, foulant les herbes, pareil à un revenant en folie. Sur son passage, de grands bœufs blancs se dressaient pesamment, étiraient leurs membres humides de rosée et gourds et soufflaient avec force, pris d’inquiétude, leurs cornes luisantes en avant, toutes semblables à des arcs étranges où les étoiles auraient tendu leurs rayons,

— Je fais des bêtises, se dit la Griotte. Je me montre trop tôt.


V


— Cette fois, ils ne m’échapperont pas.

Elle pensait cela au bord de la rivière, à une bonne distance de Pierre qui, ce soir-là, n’avait pu la dépister. Patiente, elle marchait toujours