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JULES RENARD


Elle voulait surprendre son fils en pleine débauche, le nez sur la chose, et, après l’avoir corrigé (car elle le voyait encore tout petit, en culotte fendue, la porte grande ouverte aux fessées), lui faire honte de sa conduite et le ramener à la ferme par l'une et l’autre oreilles, alternativement. Ensuite, elle était jalouse comme mère. Enfin, elle voulait regarder en face l’amoureuse et, au moyen d’habiles coups doubles, lui distribuer, à elle aussi, sa part de gifles.

Dès que Pierre était sorti, elle prenait son parapluie, même aux plus beaux soirs, et sa lanterne grillée, sans laquelle elle n’allait jamais dehors, la nuit venue, et tâchait de le suivre. C’était impossible. En effet, grâce à ses longues jambes, Pierre la distançait sans peine et, plein de méfiance, rusait, compliquait les détours. Elle le perdait rapidement de vue, devait revenir irritée et maligne, mais non découragée. Leroc et les deux sœurs dormaient déjà, tous les trois dans la même chambre. Pierre couchait à côté, dans l’écurie, tout près des bêtes. On pouvait l’entendre rentrer en collant son oreille au mur. Depuis quelque temps, c’était à croire qu’il ne rentrait pas du tout. Ayant enjambé son homme, coulée dans la ruelle, la Griotte, étendue sur le dos, son chapelet entre ses doigts, écoutait de ses deux oreilles. Mais rien ! pas un bruit de loquet ! Bientôt, sommeillante, elle aurait été incapable de faire une différence entre un claquement de porte et la chute coupée et sourde d’une grosse bouse de vache. Il lui fallait accrocher son chapelet à la croix du bénitier et s’endormir tout à fait.

Un soir, elle eut une grande surprise. Vite déroutée par la disparition brusque de Pierre à un pan de mur, elle s’en revenait à la maison, lente-