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JULES RENARD


sur place, de nous interdire toute excursion imprudente au milieu, et de le laisser, ce milieu, inoccupé et neutre. Dormons longs et plats comme des lattes, si c’est possible. En un mot, et pour me résumer, évitons les fourmis et gardons les distances ; notre bonheur en dépend !

— Alors, tu n’es pas fâché ?

— Es-tu bête ! Avec vous, femmes, dès qu’on raisonne, on se fâche ; me prends-tu pour un Clinabare ?

— Un Clinabare ?

— Oui, ou un Cantabre, un barbare enfin !

Il avait lu, ce matin même, les premiers chapitres de Salammbô et les noms sonores lui revenaient à la mémoire presque malgré lui.

— Enfin, puisque tu dis que tu m’aimes !

— Mais oui, sois donc tranquille, et je te le prouverai en temps opportun.

— Veux-tu m’embrasser ?

— Parbleu ! mais comment donc ? cela ne se demande pas.

Ils étaient encore à genoux et se faisaient faces Ils n’eurent qu’à se pencher. L’élasticité du sommier les déséquilibra, et ils ne purent s’embrasser qu’au petit bonheur, une boucle de cheveux, une portion de nez, tandis que les regards allaient mollement, involontairement, par l’entrebâillement des chemises, à des nudités bien connues et calmes. Le premier, Albert allongea son corps, ramena le drap sur lui, et, le front au mur, attendit le sommeil. Aline demanda :

— je peux éteindre ?

— Parfaitement !