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Ils attendirent au bord. D’un coup de bec délicat des piverts piquaient des mouches sur l’écorce des arbres. Des bécasses fusaient, comme lancées sur les clairières amoureuses. Dans le crépuscule le bois se couvrait de brumes blanches. Elles s’accrochaient à des pointes de branches comme à des doigts complaisants, se creusaient en lits, se gonflaient en édredons, s’enfonçaient à travers les feuilles, s’envolaient en filoches capricieuses ou restaient suspendues en l’air, retenues on ne sait où, immobiles, comme si des laveuses invisibles eussent étendu leur linge. Elles s’épandaient partout, sur les bruyères, sur la terre labourée. Le village nageait tout entier dans une teinte d’ardoise. On n’apercevait plus que le coq du clocher, dont le bec de fer chantait l’heure. Les champs bariolés dégringolaient à la rivière, qui se cachait derrière un rideau de vapeurs.

On eût dit qu’il se préparait une scène et que toute la terre montait dans les nuages.

Au loin une meute aboyait.

— Regarde, est-ce tapé ? dit Yvon.

— Oh ! moi, ça m’est égal ; les oiseaux, les oiseaux !

— Es-tu maligne ! T’as ben le temps ; laisse-les s’endormir.

Yvone avait peur.

— Si un fantôme s’allongeait et nous touchait du doigt !

— Ça arrive quelquefois.

Pour l’effrayer, Yvon se cachait dans l’ombre.

Elle criait :

— Où que t’es donc ? Où que t’es donc ? d’une voix basse, et se serrait contre lui, effarouchée.