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feuilles, le plus de feuilles qu’il put, et les étendit avec soin au fond du bachot en une couche moelleuse. Il riait en dedans, d’un rire silencieux, se disant parfois : “ Mâtin ! qu’il sera bien là ! Mâtin de veinard ! ”

Quand le bachot fut assez ouaté, il revint à Benoit et se mit à le déshabiller.

Benoit ronflait, et Moru, qui se dégrisait de plus en plus à Pair vif, bien sûr que l’ami ne se réveillerait pas, chanta, histoire de l’accompagner, un chant bas, monotone et lent, mêlé aux bruits de l’air comme si tout se fût uni pour endormir l’ivrogne, un vrai chant d’Indienne qui berce son petit.

Il plia avec soin la soutane, le pantalon qu’il enleva sans trop de peine. Ce fut plus difficile pour la chemise. Benoit parut de temps en temps secoué d’un petit frisson.

Il murmura même :

— Vieille chérie, tu me fais des chatouilles !

Mais Moru, subitement ému par le silence, par la sollicitude qu’il mettait à dévêtir le curé, par l’air langoureux qu’il chantait, l’embrassa comme un enfant, tendrement, les lèvres longuement collées sur le front, sur la bouche, le dorlota et l’amollit de caresses comme pour l’envelopper d’un sommeil profond.

Quand il l’eut mis à nu, il le porta au fond du bachot, le couvrit d’herbe fine jusqu’au cou comme d’un drap vert, puis, gardant avec lui les habits, il poussa du pied le bachot qui s’en alla à la dérive.

Alors il réveilla tous les échos de son rire, d’un lire large, cette fois, qui l’agitait dans tous ses membres et le faisait danser comme une pile.

Le bachot, hésitant, tourna sur lui-même, entra