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À la Belle Étoile


I


Tout à coup des voix chantèrent : une voix aiguë et une voix basse. C’était un chant indistinct, coupé, haché menu comme le chant d’un ivrogne. Deux hommes parurent à l’une des extrémités du petit pont.

L’un d’eux, le moins ivre, débraillé, la blouse rabattue sur les épaules et laissant voir sa chemise de toile, soutenait l’autre et se roidissait pour éviter une chute commune.

Ils s’arrêtèrent sur le pont, à regarder d’un œil trouble l’eau qui leur envoyait en plein visage ses bouffées fraîches, et de nouveau leurs voix s’élevèrent avec un bruit de ferraille remuée.

Ils riaient à la rivière si douce qui les caressait, bonnement, de ses souffles humides.

Mais, vrai, elle venait bien tard : le vin était tout bu.

Derrière eux le soleil tombait, un soleil d’un rouge terne, dont les rayons se brisaient en gerbe