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— Bonjour, vous ; je vous attendais pour mettre le couvert, dit la mère à Madame.

La mère courait, verbeuse, affairée, du buffet au placard, heureuse de parler tout à son aise, à mots rapides, coupés, suspendus, un langage fait pour elle-même, plein de demandes vagues et de réponses inachevées, qui la réjouissait, comme la musique amuse un enfant.

— Se taire ! Ah ouiche ! Est-ce qu’elle pouvait ! Elle en serait morte.

Le père se promenait de long en large, les mains derrière le dos, court et silencieux, semblable à un marin avec ses lèvres et son menton rasés, et un large collier de barbe jaune qui lui faisait le tour du cou.

De temps en temps, il s’arrêtait à l’une des fenêtres, regardait un moment au loin ou suivait attentivement le vol d’une mouche qui s’obstinait à un carreau.

— Il ne vient pas vite.

Sa barbe touchait presque au nœud de velours qui serrait les cheveux de sa sœur.

La sœur tricotait, assise près d’une table à ouvrage. Elle avait une figure blême sous des bandeaux noirs et lisses à paraître humides. Elle était toute maigre et desséchée, bien qu’elle n’eût eu d’autre fatigue dans son existence sans désirs que celle de tricoter des bas, tous les jours que le Bon Dieu faisait, et de toutes les couleurs.

Où pouvaient-ils bien aller, tous ces bas ?

Que de mollets avaient passé entre ses doigts chastes ! Elle parlait rarement, comme si elle eût éprouvé une insurmontable peine à séparer ses lèvres, point dépensière, même de gestes, bonne