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bien longtemps de cela. Mais la vieille légende jetait toujours Madame dans une rêverie sans fond et versait en son âme tendre, chaque fois qu’elle passait par là, sa petite dose d’émotion.

Les paysans qui rentraient des champs, les mains pleines de terre, les yeux mornes dans leurs visages brûlés, courbés sous les faux minces et les cognées, la saluaient, sans lever leur casquette ou leur chapeau gras, avec un hochement de tête et des clins d’yeux.

— Eh ! ben ! c’est pour ce soir ?

Elle répondait :

— Oui, c’est pour ce soir.

Les femmes, assises sur le seuil des portes, lui souriaient sans rien dire.

Elle arrivait à la ferme, une ferme immense, entre une belle rivière et un monticule, composée de deux grands bâtiments. D’un côté les bêtes, de l’autre les gens.

Les couvertures en tuiles rouges semblaient, au soleil couchant qui les incendiait, d’énormes plaques de tôle sortant du four. Un ruisseau large, qui baignait le pied de la ferme, avait l’air de charrier des flots d’oies et de canards.

À l’approche de Madame, une volée de pigeons passa d’un toit à l’autre, et, comme elle les suivait des yeux, elle vit de l’autre côté, au haut du monticule, quelqu’un qui en descendait la pente avec précaution.

— Tiens ? Le vieux, dit Madame ; et elle le regarda.

Il avait une peau de chèvre, un bâton noueux. Il était nu-tête, tout blanc, chevelu et barbu comme un Homère, et descendait sans se presser les marches naturelles de la pente, incliné du côté droit, le bâton