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JULES RENARD.



Un de moins

Je viens de feuilleter le carnet de vers d’un mort. On a pu voir dans un récent fait divers de quelle manière les initiales K. L. ont été écrasées banalement, mais définitivement, par un omnibus. Pauvre poète ! Ah ! le misérable ! Encore un pleureur à outrance qui traitait son cœur de voilure, de grange, de verger. Est-ce que je sais ? Et sa raison de petit chien auquel il disait : " Couche-toi là. " Son âme était toujours inquiète, toujours secouée jusqu’à ce qu’elle s’endormît sous la chute des heures. Il cherchait dans les ténèbres des mains à presser. Imbécile ! Il regrettait sa naissance, trouvait les jours pareils aux jours, sa maîtresse vénale, et lé soleil noirci ou saignant comme un morceau de viande. Le fadasse ! Il voyait dans une violette un œil de mort, dans chaque étoile un œil de la nuit, et même de l’argent monnayé :


Sur le tapis bleu des nues,
D’en bas, le ciel me semblait
Un lot de pièces menues :
Un petit sou, s’il vous plaît !