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JULES RENARD
Pommes frites
A son magasin anguleux,
Avec fumée en devanture,
La marchande, les doigts huileux,
Tourne et retourne la friture.
L’écumoire au creux perforé
Fait crépiter l'huile follette,
Et chaque goutte se reflète
Sur la marchande au teint doré.
Car c’est l'heure où, mines hagardes,
Petits gamins et gens furtifs,
Pour déjeuner, à pas hâtifs,
Dégringolent de leurs mansardes.
Ils emportent pour leurs deux sous
Un cornet plein de pommes frites
Et des politesses gratuites
Offertes d’un ton aigre-doux.
Puis au bas d’une devanture
Ils s’adossent, rassasiés,
Dégustant la littérature
De leurs cornets versifiés.
Et, tandis que sur sa lecture
Chacun dort immobilisé,
La marchande, d’un air blasé,
Tourne et retourne la friture.