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l’enveloppe, et je distingue au fond, écrasée, roulée en chenille, une mèche de cheveux, une mèche de cheveux pour moi.

Ha !

Je rentre chez moi, et, c’est drôle, je n’éprouve aucune espèce de plaisir ; vraiment, les femmes ont des manies bizarres. Qu’est-ce que je vais faire de cette mèche de cheveux ? Elle est là, devant moi. Je n’ose pas y toucher. Enfin, je vide l’enveloppe sur la table. La mèche est fraîchement coupée, toute neuve, encore végétante, et, comme ma bonne amie n’a pas cru devoir la nouer dans une faveur, les cheveux s’éparpillent sur mon Baudelaire ouvert. Je me rappelle les livres loués aux cabinets de lecture et au-dessus desquels une centaine de lecteurs se sont gratté la tête et curé le nez. Je passe un vilain quart d’heure d’insensibilité. Il est possible que mon éducation sentimentale n’ait pas été assez soignée. Le sens de certains raffinements m’échappe. Je volerais la bourse d’une femme, plutôt qu’un de ses vieux gants ou son mouchoir sale, et, si je me jetais à ses pieds pour les lui baiser, j’embrasserais, en cachette, mon poing.

Cependant je n’oublie pas de me dire que ma