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— « Bon, dit-il, ce n’est pas la question ; moi, vois-tu, je suis avant tout un homme pratique. Nous pouvons vivre trente années en commun. Je dis trente pour donner un chiffre. N’est-il pas excellent de s’installer, de prendre ses précautions ? Songe que nous devons dormir côte à côte une moyenne de dix mille neuf cent cinquante nuits. Il ne faut rien accorder au hasard ni au caprice, sous peine d’enfer. C’est pour cela que je fais notre éducation. Nous avons, c’est vrai, la volonté de nous aimer par le cœur le plus longtemps possible ; mais il est prudent d’habituer nos deux corps l’un à l’autre, de compter avec leurs répugnances, leurs nervosités, leurs états maladifs, leurs bouderies. Apprenons l’art de passer nos nuits à reculons, d’éviter les heurts. Faisons-nous de mutuels sacrifices, désireux l’un et l’autre de supprimer toute nouvelle cause de conflit. Je m’enfonce dans le mur. Suspends-toi au bord du lit. Comprends-tu ? Il s’agit de respecter nos sommeils, de ne nous accorder que des mouvements sur place, de nous interdire toute excursion imprudente au milieu, et de le laisser, ce milieu, inoccupé et neutre. Dormons longs et plats comme des lattes, si c’est possible. En un mot, et pour me résumer, évitons