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— « Ce n’est plus la peine de le cacher ; je le vois ! » —

— « Ah ! dit M. Lepic embarrassé, tu aimes mieux un pistolet ! tu as donc bien changé ? » —

Tout de suite Poil-de-Carotte se reprend :

— « Mais non, va, mon papa, c’était pour rire. Sois tranquille, je les déteste, les pistolets. Donne-moi vite ma trompette, que je te montre comme ça m’amuse de « bouffer » dedans. » —

— « Alors, pourquoi mens-tu, lui demande Mme Lepic ; pour faire de la peine à ton père, n’est-ce pas ? Quand on aime les trompettes, on ne dit pas qu’on aime les pistolets, et surtout on ne dit pas qu’on voit des pistolets, quand on ne voit rien. Aussi, pour t’apprendre, tu n’auras ni pistolet ni trompette. Regarde-la bien : elle a trois pompons rouges et un drapeau à franges d’or. Tu l’as assez regardée. Maintenant, va voir à la cuisine si j’y suis ; déguerpis, trotte et flûte dans tes doigts. » —

Tout en haut de l’armoire, sur une pile de linge blanc, roulée dans ses trois pompons rouges et son drapeau à franges d’or, la trompette de Poil-de-Carotte attend qui souffle, imprenable, invisible, muette, comme celle du jugement dernier.