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— « La cousine mange » — disait Raponot.

— « Non, elle bâfre et ne fait que ça. À son âge, elle a encore le ventre dur comme de la tôle, comme une femme pleine qu’elle n’a jamais pu être. Elle détruit toutes les pommes de terre, et ne m’en laisserait pas une, allez, la dévorante ! mais je n’y tiens pas, et je vivrais de racines. Oui, cousin Raponot, moi, tel que me voilà ! je souperais avec une trempette de racines ! » —

— « Et moi pareillement, disait Raponot ; mais c’est pas trop les racines qui manquent, c’est plutôt le vin. » —

Ensuite ils parlaient d’autre chose. De temps en temps, le vieux, par habitude, sans méchanceté, et comme il jurait le saint nom du bon Dieu pour renforcer son langage, donnait son opinion sur la vieille, l’appréciait froidement, la comparait à des animaux familiers :

— « C’est une truie » — disait-il.

— « Ah ! ah ! » — répondait Raponot.

Et ils continuaient de parler d’autre chose, ou se taisaient comme pour écouter le vin filtrer jusqu’aux couches les plus profondes de leur être.

Tout à coup, Raponot, par-dessus la tête du vieux, semblait fouiller du regard l’ombre de la cheminée.