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menton, le vieux la réveillait avec un cri de rage, et se tirant la barbe jusqu’à la faire vibrer :

— « Écoute-moi bien, ânesse, si dans une minute !… » —

Elle avait juste le temps de sauter sur son peigne. La toilette terminée, elle se retirait au coin de la cheminée, qu’elle habitait principalement, et faisait un violent bruit de mâchoires. Mais on ne pouvait savoir si elle maugréait à la sourdine, ou si elle mangeait simplement ses pommes de terre trop chaudes.


III


Ils vécurent comme le vieux l’avait ordonné. Ils se partageaient la soupe également, de bonne foi, sans chicane. Les cuillers allaient, lentes, du bord au milieu de l’écuelle, et là s’arrêtaient, sans se toucher, de sorte qu’il restait toujours entre elles un petit mur de pain trempé pour le chat. Puis, l’homme buvait son vin et sa face s’empourprait sous ses poils blancs, semblable à un soleil rayonnant sous un horizon de neige. La femme épluchait ses pommes de terre, accroupie dans la cheminée, près de la marmite fumante. Volontiers elle eût pris un bol de vin. Elle se risquait :

— « Ne veux-tu point m’en donner une goutte, mon vieux ? » —