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et c’est sacré comme la maison. Moi, je ne suis pas difficile à nourrir. Je prends la moitié de la soupe et le vin. Et toi, qu’est-ce que tu prends ? » —

— « Alors, moi, je prends l’autre moitié de la soupe et les pommes de terre » — dit la vieille.

— « Mâtin ! tu gardes la belle part. Heureusement que j’ai perdu l’appétit. Vas-tu t’empiffrer, bougresse ! » —

— « C’est le cochon le plus gras qu’on tue d’abord, remarqua la vieille, le bon Dieu va bientôt me rappeler. » —

— « Le diable t’entende, jument ! » —


II


D’humeur chagrine, il la bourrait tout le jour, sans cesse étonné de la trouver là, sous son nez, dans ses jambes et dans son lit, inutile. Après quarante années de ménage, il ne pouvait encore se croire marié à une telle femme. Fréquemment il disait d’elle, comme parlant d’une étrangère : « Non, jamais je n’en ai vu une pareille ! »

Il lui découvrait aujourd’hui un défaut, observé hier, que sincèrement il croyait neuf. Il ne se lassait pas de la gourmander, de la tarabuster avec l’entrain d’un homme virulent et jeune. Il causait bien, ayant fréquenté des ouvriers de