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Poil de Carotte

Madame Lepic se garde de s’emporter. Elle nettoie, calme, indulgente, maternelle. Et même, le lendemain matin, comme un enfant gâté, Poil de Carotte déjeune avant de se lever.

Oui, on lui apporte sa soupe au lit, une soupe soignée, où madame Lepic, avec une palette de bois, en a délayé un peu, oh ! très peu.

À son chevet, grand frère Félix et sœur Ernestine observent Poil de Carotte d’un air sournois, prêts à éclater de rire au premier signal. Madame Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée, donne la becquée à son enfant. Du coin de l’œil, elle semble dire à grand frère Félix et à sœur Ernestine :

— Attention ! préparez-vous !

— Oui, maman.

Par avance, ils s’amusent des grimaces futures. On aurait dû inviter quelques voisins. Enfin, madame Lepic, avec un dernier regard aux aînés comme pour leur demander :

— Y êtes-vous ?
lève lentement, lentement la dernière cuillerée, l’enfonce jusqu’à la gorge, dans la