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Poil de Carotte

ou trois agneaux de plus. Il les trouve égarés parmi les mères, gauches, flageolant sur leurs pattes raides : quatre morceaux de bois d’une sculpture grossière.

Poil de Carotte n’ose pas encore les caresser. Plus hardis, ils suçotent déjà ses souliers, ou posent leurs pieds de devant sur lui, un brin de foin dans la bouche.

Les vieux, ceux d’une semaine, se détendent d’un violent effort de l’arrière-train et exécutent un zig-zag en l’air. Ceux d’un jour, maigres, tombent sur leurs genoux anguleux, pour se relever pleins de vie. Un petit qui vient de naître se traîne, visqueux et non léché. Sa mère, gênée par sa bourse gonflée d’eau et ballotante, le repousse à coups de tête.

— Une mauvaise mère ! dit Poil de Carotte.

— C’est chez les bêtes comme chez le monde, dit Pajol.

— Elle voudrait, sans doute, le mettre en nourrice.

— Presque, dit Pajol. Il faut à plus d’un donner le biberon, un biberon comme ceux qu’on achète au pharmacien. Ça ne dure pas,