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Poil de Carotte

M. Lepic aime surprendre ainsi ses garçons. Il arrive sans écrire, et on l’aperçoit soudain, planté sur le trottoir d’en face, au coin de la rue, les mains derrière le dos, une cigarette à la bouche.

Poil de Carotte et grand frère Félix sortent des rangs et courent à leur père.

— Vrai ! dit Poil de Carotte, si je pensais à quelqu’un, ce n’était pas à toi.

— Tu penses à moi quand tu me vois, dit M. Lepic.

Poil de Carotte voudrait répondre quelque chose d’affectueux. Il ne trouve rien, tant il est occupé. Haussé sur la pointe des pieds, il s’efforce d’embrasser son père. Une première fois il lui touche la barbe du bout des lèvres. Mais M. Lepic, d’un mouvement machinal, dresse la tête, comme s’il se dérobait. Puis il se penche et de nouveau recule, et Poil de Carotte, qui cherchait sa joue, la manque. Il n’effleure que le nez. Il baise le vide. Il n’insiste pas, et déjà troublé, il tâche de s’expliquer cet accueil étrange.

— Est-ce que mon papa ne m’aimerait plus ? se dit-il. Je l’ai vu embrasser grand frère