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l’aveugle

— Puisqu’il a ses dix sous, dit madame Lepic, sans crainte d’être entendue, que demande-t-il ?

Mais l’aveugle parle politique, d’abord timidement, ensuite avec confiance. Quand les mots ne viennent pas, il agite son bâton, se brûle le poing au tuyau du poêle, le retire vite et, soupçonneux, roule son blanc d’œil au fond de ses larmes intarissables.

Parfois M. Lepic, qui tourne le journal, dit :

— Sans doute, papa Tissier, sans doute, mais en êtes-vous sûr ?

— Si j’en suis sûr ! s’écrie l’aveugle. Ça, par exemple, c’est fort ! Écoutez-moi, monsieur Lepic, vous allez voir comment je m’ai aveuglé.

— Il ne démarrera plus, dit madame Lepic.

En effet, l’aveugle se trouve mieux. Il raconte son accident, s’étire et fond tout entier. Il avait dans les veines des glaçons qui se dissolvent et circulent. On croirait que ses vêtements et ses membres suent de l’huile. Par terre, la mare augmente ; elle gagne Poil de Carotte elle arrive :