Page:Renard - Poil de Carotte, 1902.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
Poil de Carotte

— J’y serais bien allée, moi, dit Agathe.

Ou plutôt, elle ne le dit pas, elle le pense seulement. Déjà atteinte du mal de tous, la langue lourde, elle n’ose parler, mais se croyant en faute, elle redouble d’attention.

M. Lepic n’a presque plus de pain. Agathe cette fois ne se laissera pas devancer. Elle le surveille au point d’oublier les autres et que madame Lepic d’un sec :

— Agathe, est-ce qu’il vous pousse une branche ?

la rappelle à l’ordre.

— Voilà, madame, répond Agathe.

Et elle se multiplie sans quitter de l’œil M. Lepic. Elle veut le conquérir par ses prévenances et tâchera de se signaler.

Il est temps.

Comme M. Lepic mord sa dernière bouchée de pain, elle se précipite au placard et rapporte une couronne de cinq livres, non entamée, qu’elle lui offre de bon cœur, tout heureuse d’avoir deviné les désirs du maître.

Or, M. Lepic noue sa serviette, se lève de table, met son chapeau et va dans le jardin fumer une cigarette.