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LA CANTATRICE

décourageants… D’ailleurs, la représentation se déroulait ; nous n’avions pas le droit de converser.

La musique régnait.

Le cor de Siegfried retentit. Borelli m’empoigna l’épaule et chuchota :

— « Est-ce beau, cela ! Est-ce beau, la trompe !… Voilà ce que j’appelle un gentil morceau, facile à retenir… »

Soudain, la voix de l’oiseau sortit des lèvres de l’infirme, si près de moi que ma gorge en vibrait. L’atmosphère était comme saturée d’un arome affolant, sonore. Saisi de vertige, d’ivresse, de félicité, je chancelai. Des machinistes, des choristes, des figurants et même des chanteurs, tout le personnel du théâtre faisait cercle autour de l’estropiée. Il y avait dans sa voix autre chose que du génie et de la suavité ; il y avait un attrait inexplicable. Et, dans la pénombre du lieu, grandie, transfigurée par l’amour de son art, voici que la percluse aux cheveux d’or se parait d’une beauté irrésistible…

Elle finit. L’opéra continué faisait un vacarme fastidieux. Je sortais d’un rêve