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LE BROUILLARD DU 26 OCTOBRE

vignes vendangées et les champs d’asperges poussés en brousse après récolte. Des paysans coupaient ces verdures aériennes et les amassaient pour les brûler. Cela faisait des lueurs un peu partout et de hautes fumées dans l’air calme. Nous montions, sans nous presser, vers un bois de cuivre et de rouille. Je regardais souvent par-dessus mon épaule la gorge et la plaine qui se découvraient. À l’orée du bois, le sentier fit un coude et, longeant la bordure, plaça devant nous l’arrondi de la vallée. Spacieux hémicycle évasé en face de l’étendue, elle offrait l’image accomplie de ce mois de brumaire qui venait de commencer. Malgré le temps hargneux et froid, malgré le ciel terne et la buée qui d’un voile précoce indécisait les fonds marécageux, son manteau de frondaisons jaunies la revêtait d’un ensoleillement. Nul souffle n’agitait les ramures. De temps en temps quelque arbre s’effeuillait dans le bois, avec un petit bruit d’averse, pas gai. On entendait planer l’invincible recueillement précurseur de l’hiver. On sentait la campagne se stupéfier d’heure en heure et l’automne mûrir.