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la vision

vis, cette fois, pâlir outre mesure et demeurer pétrifiée devant l’un des miroirs. Je regardai moi-même…

Ah ! Jamais fantasmagorie plus effrayante avait-elle habité la contrée des mirages ? Quelle vision plus désespérante pouvait apparaître au fond de ce trompe-l’œil détestable ?

Devant Christiane, devant moi qui sondais le miroir avec effroi, — moi qui, dans ce miroir, étais doué d’un buste trop long et d’une tête amincie, — une jeune fille charmante se tenait, svelte, gracieuse, à peine altérée par l’effet de l’optique. La déformation redressait la nature. Une Christiane illusoire venait de surgir en face de l’autre, telle que cette autre eût été, si le destin l’avait voulu !

Un appel, presque un cri :

— Bobette !… Bobette ! Viens voir !

Bobette accourut, pleurant des larmes d’hilarité. Lulu, Mady et les trois jeunes gens s’approchèrent aussi…

Une stupeur chassa leur allégresse. Christiane ne bougeait pas. Je lui pris la main. Bobette l’embrassa, voulut l’entraîner…

— Viens Christiane ! Viens, je t’en prie !

Christiane la repoussa doucement. L’œil fixe, elle emplissait sa vue et son souvenir de l’apparition mensongère, délicieuse et cruelle.

— Viens donc ! Ma chérie… Viens !

Enfin nous l’entourâmes, et les trois belles