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le carnaval du mystère

— Vous rentrerez tard ?

— Mais non !

Et, brusquant son départ :

— Bonsoir, petit ! À demain ! Dors, dors vite.

S’il m’avait embrassé une dernière fois, il ne serait pas parti. Il aurait bien vu qu’il ne fallait pas partir. Mon front moite, mes mains froides le lui auraient fait comprendre. Mais il eût attribué cette fièvre au chagrin plutôt qu’à la peur. Il ignorait ma découverte macabre, et ne se serait jamais douté que, si je tremblais de tous mes membres, c’était à penser que les domestiques couchaient dans les mansardes, et que bientôt je serais tout seul, à quelques pas de la main morte.

Ah ! Quelles transes ! Quelle agonie ! Mais ne dit-on pas que les extrêmes se touchent ? Et si je ne prononce pas le mot « désir », comment rendrai-je les affres singulières dont je frémissais ?

Ici, toutefois, ma mémoire s’embrume. J’ai beau la solliciter ; il m’est impossible de retrouver quelles furent mes sensations après que mon père m’eut quitté pour aller s’habiller. On peut supposer que la tension de mes nerfs provoqua une sorte d’engourdissement. Toujours est-il que je n’entendis pas se clore la porte de la rue, bien que toute mon attention fût dirigée dans ce sens. J’ai dû m’assoupir et tout à coup secouer ma torpeur, sans savoir