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la main morte

C’est pourquoi je ne savais pas qu’il sortît, le soir, de temps en temps, pour aller au théâtre et même chez des amis, où l’on dansait. Il eût craint de raviver ma grande peine, en me mon­trant que les plaisirs l’avaient reconquis et qu’il pouvait les goûter sans ma mère. J’étais si farouche ! Avec quelle sauvagerie je repoussais toutes les tentatives qu’il faisait pour me procurer les joies de mon âge !

Un soir, cependant, j’eus l’intuition qu’il allait sortir ; cela se devinait. J’étais couché. Il vint, comme d’habitude, m’embrasser. Mais il ne m’embrassa point comme tous les jours. Ses baisers furent plus longs, plus appuyés. Il ne pouvait rejeter ce maintien, si indescriptible et si vague, d’un homme qui va s’en aller et que cela trouble.

— Vous sortez, papa ?

Il perdit encore un peu de son assurance. Mais mon père exécrait le mensonge, et il me répondit affirmativement.

— Où allez-vous ?

— Chez Mme de F…

— C’est un bal ?

— Oui, dit mon père d’une voix anxieuse, avec un regard implorant.