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la visite crépusculaire

d’un idiot. On peut durer longtemps à l’état d’imbécile bégayant et malpropre… Alors, comprends-tu : je veux écrire, écrire, écrire tout ce que je pourrai, avant le jour maudit, pour qu’une œuvre nombreuse réponde de moi devant l’avenir, pour qu’elle fixe ma véri­table personnalité, et que nul ne puisse opposer ma vie de gâteux à ma vie de penseur !

— Arnoldson ! Qui donc oserait…

Il m’interrompit d’un geste brusque.

— Ah ! fit-il en se prenant la tête dans les mains. Dire que cette première attaque aurait pu m’abêtir ! Quand je pense que tout cela pourrait ne pas être écrit ! Tout cela !

Je suivis la direction de son index, et je distinguai, sur une étagère, une grande quantité de cahiers divers.

— Six mois de production ! reprit Arnoldson. Des poèmes ! Des essais ! Des romans ! De l’histoire ! De tout ! De tout !… — Pardonne­ moi, Christian, je ne te chasse pas ; mais, vois-tu, mes minutes sont comptées… Reste là, si tu veux, à fumer. Moi, je travaille. Il le faut !

— Je vais rester encore quelques instants, lui dis-je.

— Tu me feras plaisir. Voilà des cigares… Je termine le huitième chant d’un poème épique…

Il s’absorba. Il me tournait le dos. Voûté, ramassé sur lui-même, il s’appliquait à sa