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le carnaval du mystère

la chose sépulcrale, — la chose de cercueil et de caveau, — doutant qu’elle fût là, chez nous, dans un tiroir, parmi des boucles blondes, des dentelles, des gants qu’elle avait épousés, dans ces parfums de femme déjà tout altérés par des senteurs de vieillissement, de vitrine et de pous­sière. Innocent que j’étais, sa lividité me sem­blait la couleur même de la mort, sinon la teinte des apparitions. Qu’était-ce que cela ? Était-ce embaumé, préparé, pétrifié ? Cela tenait-il du spectre ?… Non, je n’aurais pas touché cette main-là pour un empire ; et mon effroi se dou­blait confusément d’une poignante tristesse : celle d’appréhender le contact de ces doigts fuselés dont les caresses m’avaient ouvert, pourtant, le paradis des bonheurs enfantins.

J’étais hypnotisé par cette ombre blanche et matérielle qui éternisait la main exsangue de ma douce maman… Enfin, quelque alerte me fit quitter la chambre précipitamment.

Mais, à dater de ce jour, il y eut dans la mai­son quelque chose de prodigieux. Il me sembla qu’un peu de ma mère était inhumé dans la chambre de mon père, ou plutôt que sa main, réfugiée là, lui survivait, d’une façon larvaire et inexplicable.

J’avais peur. Le soir, dans ma couchette, quand mon père s’était retiré après m’avoir souhaité bonne nuit, des sueurs froides m’inon­daient, à la pensée de dormir si près de la main.