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Krantz gisait, affalé sur sa chaise et contre une table. Le docteur s’empressait à l’examiner.

— Ho ! fit-il Par exemple !… Mort.

Mon Dieu ! Se pouvait-il que ce beau visage, solennel et pur, fût celui du professeur Krantz, que j’avais vu pourtant si beau déjà, dans le passé ?

Lautensack répondit à mon étonnement sans même que je l’eusse exprimé :

— Nous autres, quand nous étions jeunes, nous l’avons connu ainsi.

Quel resplendissement, après le départ de la pauvre âme faussée !

— « La Vérité, dis-je alors ex abrupto, c’est la recherche de la Vérité. »

— Plaît-il ? fit Lautensack en se tournant vers moi, non sans anxiété.

— Pardonnez-moi, docteur. J’ai toute ma raison. Mais il me semble, quand je regarde Krantz, l’entendre me redire cette petite phrase si grande. C’est une chose qu’il m’a confiée, un jour, avec d’autres choses qui ne signifiaient rien, autant que je le présume.

— C’est vrai, dit Lautensack. Je me souviens aussi de cette heureuse maxime.

Les mains de Krantz serraient sur sa poitrine un objet assez volumineux.

— La montre, dit Lautensack.

Nous dégageâmes sans trop de difficulté le très gros chronomètre.

Puis cette histoire trouva dans l’ambigu le dénouement qu’il lui fallait.

— La montre est arrêtée ! dis-je. Et elle ne veut plus marcher.

— Hein ?

Le docteur s’en empara. Comme je l’avais fait, il l’approcha de son oreille. Comme moi, il tourna le remontoir, secoua l’engin. La montre, détraquée, restait inerte et muette.

— Eh bien ! Eh bien ! Drôle d’affaire… Drôle d’affaire…, ne cessait de répéter Lautensack. Voyez : elle a marché jusqu’à 11 heures… Jusqu’à.

J’achevai :

— Jusqu’à l’heure probable où Krantz a succombé, parbleu ! Cela, vous avouerez que c’est tout de même impressionnant !

Mais Lautensack réfléchissait.

— Halte ! fit-il en levant la main. Vous me feriez raisonner à contresens, ma parole !

— Comment cela ?

— Je ne nie pas — entendez-moi bien — je ne nie pas que la mort subite de Krantz n’ait été provoquée par l’arrêt de la montre.

— C’est donc prodigieux, docteur, tout bonnement !

— Attendez la suite. Je ne le nie pas. Mais les faits ne se sont pas déroulés comme vous semblez le croire. Krantz était convaincu que le cours de sa vie dépendait du mouvement de la montre. Eh bien ! C’est quand il a vu la montre arrêtée — c’est quand il a senti cela — qu’il est mort. Mort de saisissement. Et de logique. Tout ici-bas s’explique naturellement, monsieur Semeur. Et, comme disait si souvent le professeur, « il faut avoir pitié de tous. Même de… »

— Oui, continuai-je, il le disait : « Même de… »

Mais, à l’exemple de Lautensack, j’en restai là. Nous avions consulté, l’un et l’autre, la sérénité reconquise du professeur Krantz. Elle ne s’accordait plus avec son rêve énorme et burlesque.

Maurice Renard.