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le professeur krantz

indiscutable, et qu’en agissant ainsi, en évitant jusqu’à l’expression du dessein que j’avais de le joindre, j’obéissais d’une façon puérile et confuse au désir de défendre son mystère.

Ce fut vers minuit que j’arrivai à Berlin. Je n’avais pas voulu que Fuchs se dérangeât à cette heure tardive pour venir me prendre à la gare. Ma lettre le priait seulement de bien vouloir veiller jusque là, car je lui téléphonerais dès mon arrivée.

Pendant qu’on montait mes bagages dans la chambre même que j’avais occupée lors de mon dernier séjour et que je venais de redemander, cédant aux sollicitations d’une brumeuse sentimentalité — mon premier soin fut d’appeler Fuchs à l’appareil.

Fuchs était un organisateur actif, dont la précision m’avait particulièrement séduit à Paris, où j’avais eu maintes fois l’occasion de lui parler d’affaires, lorsqu’il n’était pas encore mon agent.

Après m’avoir souhaité la bienvenue avec la politesse un peu cérémonieuse de sa race, il m’indiqua le programme qu’il avait préparé pour moi et qu’il mit son point d’honneur à me présenter en français.

— D’abord, me dit-il, vous devez, monsieur Semeur, visiter « Grunewald ». M. le docteur Lautensack est prévenu pour dès 8 heures et demie du matin.

— « Grunewald » ? dis-je.

— Excusez, monsieur Semeur. Je veux parler du nouvel immense hôpital privé qui a été entièrement aménagé par Lewison and Barclay, vous savez bien ? Nous l’appelons ici « Grunewald » parce qu’il est situé dans Grunewald, le quartier neuf.

— J’y suis. Mais pourquoi voulez-vous que je visite ça ?

— Excusez. Vous ne pouvez réellement rien faire à Berlin, chez nos clients, si vous ne connaissez pas « Grunewald ». Tous vous en parleront. Je dois dire : c’est une admirable, une incomparable installation. Peut-être, monsieur Semeur, peut-être vous en serez un peu… un peu mortifié, si vous permettez. Mais voyez « Grunewald ». Il faut.

— Soit ! acceptai-je, d’assez mauvaise humeur.

— Ils sont deux directeurs, reprit Fuchs. De l’un ne parlons pas ; il est un grand savant qui plane dans les régions supérieures de la Science et n’en descend que pour s’intéresser aux malades exclusivement. Mais l’autre, M. le docteur Lautensack, c’est celui-là qui s’est chargé tout spécialement d’administrer l’hôpital — et ce n’est pas une petite affaire ! — Il vous recevra très bien et sera votre guide, en personne.

— Lautensack. Ah ! oui, je sais. L’ancien directeur de l’Anatomisches Institut, n’est-ce pas ?

— Exactement ! Exactement !

— Très remarquable. Je me souviens de lui.

— Donc, avec cette visite, vous en aurez bien pour toute la matinée.

— C’est si grand que ça, votre « Grunewald » ?

— Colossal, monsieur Semeur. Songez que cela représente comme plusieurs établissements distincts.

— Bon. C’est entendu. Et l’après-midi ?

— Si vous voulez bien m’honorer, nous déjeunerons ensemble et, aussitôt, nous irons tous deux chez des clients dont je vous soumettrai la liste en déjeunant, à commencer par la clinique Schweren, où, je pense, nous ferons bonne besogne. Vous plaît-il de me trouver, vers midi, à la porte centrale de « Grunewald » ? Et de là vous allons au restaurant ?

— Non, Fuchs, ne vous donnez pas cette peine. Soyez à mon hôtel vers midi 30, voulez-vous ? C’est moi qui vous invite.

— À vos ordres, monsieur Semeur.

Je me serais bien gardé d’accepter son offre, ayant la ferme intention de ne pas prolonger jusqu’à midi l’inspection de « Grunewald ». Une heure me suffirait certainement pour admirer le chef-d’œuvre de mes concurrents Lewison and Barclay ;