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le professeur krantz

— Aussitôt ! affirma-t-il. Aussitôt !

Il fit l’effort de m’escorter. Mais, au seuil de la pièce :

— N’allez pas plus loin, dis-je. Je m’y reconnaîtrai.

Aucune insistance. Il s’inclina, cassant sa haute stature, à l’allemande.

— Une année, fit-il seulement. Moins, si je peux.

Il attendait, avec une hâte ostensible, que mon départ lui rendit la liberté. Là, je regrettai qu’il fût ce qu’il était. J’aurais voulu m’épancher, traduire l’émotion qui me poignait, à la suprême phase d’une entrevue aussi exceptionnelle. Mais je ne voyais qu’un masque fermé, magnifiquement beau et singulier, durci par l’activité cérébrale et le désir intense de procéder sans retard à cette manipulation…

Sur ces adieux, je regagnai mon hôtel dans un désarroi bien bizarre. La solitude m’était des plus pénibles et me causait un malaise intolérable. Je domptai de mon mieux la tendance qui m’entraînait vers toutes sortes de craintes et d’indécisions, et, laissant mes affaires, j’écrivis à Albane une longue lettre foisonnant de gaieté et de confiance.

Je lui écrivais chaque jour. Et c’était, chaque jour, une épreuve, à cause des mensonges qu’il me fallait lui faire et de l’entrain que je devais simuler, en doutant d’ailleurs qu’elle s’y laissât prendre. Cette fois, je n’avais plus à feindre. Je pouvais lâcher la bride aux inspirations de mon cœur, sous la condition de ne rien rapporter touchant le professeur Krantz, sauveur aléatoire. Cependant, lorsque j’interrompais ma lettre après avoir mis le point de ponctuation à la fin d’une phrase toute brillante de joyeuse tendresse, je me rappelais les confidences de Krantz. Alors, les affres de la peur mouillaient mes tempes et glaçaient mes mains. Je me demandais si j’avais bien le droit de me réjouir, et je ne pouvais rabaisser mon stylographe sans m’être accordé un peu de répit, pour me raisonner et m’astreindre à conclure que rien, pas même ce qui venait encore de m’’épouvanter à l’instant, n’était de taille à contre-balancer ce grandissime triomphe : Albane vivante.

Qu’elle le fût grâce à ceci ou grâce à cela, qu’importait ?

Oui, qu’importait ? En dépit de cette logique, ma lettre achevée, je demeurai longtemps immobile, embrasé d’espoir et rongé d’inquiétude.

Deux jours après, j’avais quitté Berlin.

À Paris : un télégramme. Je l’ouvris, convaincu qu’il ne m’annonçait rien de nouveau. Je me trompais.

Contre toute attente, le médecin d’Albane se déclarait fort satisfait. Une amélioration sensible s’était produite.

Le lendemain, j’étais à Nice, et je constatais moi-même qu’un grand pas avait été fait, en quinze jours et à l’improviste, vers la guérison. Le docteur s’était retenu de m’en informer avant d’être rigoureusement sûr que ce n’était point là de ces leurres qui contrefont un retour à la santé et n’en sont que la fugitive apparence.

Cela fut très simple et très normal. Que le lecteur, hanté peut-être par ce qui précède, n’aille pas soupçonner dans ce bienheureux événement, dans cette reprise inespérée, une intervention insolite. Qu’il ne voie pas la main de Krantz susciter à distance l’arrêt du mal, suivi sur-le-champ d’un mieux décisif, Non, non, là n’est point l’étrangeté de cette histoire, que nul enfantillage ne ravale. Albane revenait à la vie par la seule magie du soleil, de la jeunesse et de la foi, c’est-à-dire aussi de l’amour.

J’eus conscience d’en être plus follement heureux que si je n’avais pas connu le professeur Krantz, avec ses recherches. Savoir qu’Albane ne devrait pas l’existence à sa terrifiante découverte, me dire qu’elle allait guérir comme tout le monde, sans avoir eu recours à l’horrible artifice, quel soulagement inexprimable ! Quelle exquise délivrance, s’ajoutant à l’autre, infinie celle-là, divine, radieuse à n’en pouvoir rêver qui éclipse ! Il me semblait qu’Albane triomphait de deux périls ; et moi, je sentais