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mirastel et ses habitants

remuante, qu’on oubliait qu’elle fût aveugle, et que sans doute elle l’oubliait aussi, par moments.

La faute de Suzanne, hélas ! avait jeté sur tout cela l’ombre pourpre de la honte… Mais, n’est-ce pas, on n’est pas tenu de rougir sans discontinuer parce qu’une fille de la maison est devenue la proie d’un suborneur…

Et ce fut au milieu d’une réunion assez joviale que M. Le Tellier fit son entrée à Mirastel, précédé de sa femme Lucie, de sa fille Marie-Thérèse, suivi de son fils Maxime et de son secrétaire M. Robert Collin.

Les Sarvants étaient alors dans toute leur gloire, et pendant le dîner la conversation ne roula que sur eux.

Dès la fin du repas, les quatre cousins s’échappèrent. Tous les ans, le même rite joyeux poussait les nouveaux arrivés à faire, au débotté, le tour de Mirastel.

On chercha, dans la nuit venue, la silhouette de l’antique demeure, avec ses girouettes de fer forgé pointant vers les étoiles ; on parcourut la ferme attenant au château, le parc incliné, la terrasse plantée de marronniers fleuris. Le ginkgo-biloba, l’arbre rarissime de qui les aïeux remontent au déluge, y fut salué comme un vieil oncle végétal. Puis le quatuor s’engagea sous la charmille centenaire qui mène au portail et dont le berceau ténébreux faisait parmi la nuit une nuit plus nocturne.

C’étaient quatre taches mouvantes, deux grandes, sombres, et deux petites, claires, glissant, avec un bruit de galets remués, sur le gravier tiré de la rivière. Et elles disaient des phrases où le nom de Suzanne revenait fréquemment…

Mais voici, jappant et frétillant, quelque chose de noir qui se précipite vers les promeneurs. C’est Floflo, un loulou de Poméranie au poil lustré de caresses, un ami d’enfance, lui aussi, et le contemporain de Marie-Thérèse, malgré que déjà ce soit un vieillard-chien… On le fête. On oublie un peu Suzanne. Et l’on poursuit la ronde sentimentale, au clair de la lune qui vient de jaillir d’une crête.