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le péril bleu

plus grande qu’on le présume. Voilà ce que la découverte des Sarvants nous enseigne d’abord. Mais ce n’est pas tout.

Si nous considérons l’aventure sous un angle plus vaste, elle nous apprend une vérité qui serait bonne à retenir, même en admettant que le Péril Bleu ne soit qu’une fable, tellement alors cette fable resterait prodigieusement possible. Et c’est qu’à tout moment, des cataclysmes inopinés, d’une sorte analogue, peuvent fondre sur nous, sur nos fils ou leur descendance.

L’humanité, ne possédant sur l’univers qu’un petit nombre de lucarnes qui sont nos sens, n’aperçoit de lui qu’un recoin dérisoire. Elle doit toujours s’attendre à des surprises issues de tout cet inconnu qu’elle ne peut contempler, sorties de l’incommensurable secteur d’immensité qui lui est encore défendu. Qu’elle se cuirasse donc d’abnégation et qu’elle s’arme de science, pour supporter les chocs et lutter contre l’avenir. Mais sans trêve, — ô sensible, ô nerveuse et vaillante Humanité ! qu’un sourire fleurisse à ta bouche innombrable, à mesure que s’enrichit l’arsenal prestigieux devant qui l’inconnu recule chaque jour ! Et dis-toi bien, malgré tes maux et tes chagrins :

— « C’était tout de même un présent non pareil que la Destinée fit à l’homme, de le placer au sein du monde infiniment admirable et divers, en lui donnant la joie de le découvrir peu à peu, merveille par merveille, à coups de génie, à force de travail, — tout seul. »

C’est pourquoi il est mauvais que l’on envisage l’histoire du Péril Bleu comme une légende mystificatrice, et qu’on méprise les clichés et les plâtres des Arts et Métiers. Quand même les générations à venir obtiendraient la certitude de leur fausseté, la preuve du truquage, quand même elles refuseraient de croire au Péril Bleu, et qu’il nous menace toujours, et que demain peut-être, il recommencera de sévir, — elles devraient, si la sagesse est avec elles, mener leurs jeunes gens à ce Conservatoire, et tenir ces propos en face des moulages et des photographies :

— « Regardez. Puis réfléchissez. Puis rêvez. Ceci n’est pas impossible. »