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tiburce abandonne

Mlle  d’Agnès contempla son frère.

— « Moi aussi, François, j’ai besoin de pardon. Je savais bien que Tiburce ne retrouverait pas Marie-Thérèse, et si je l’ai laissé partir, c’est que je comptais sur son acharnement pour fléchir tes résolutions. Mais à l’heure où mon plan vient enfin d’aboutir, il me semble que ce n’est pas très honnête cette machination… »

— « Ah ! mon amie, c’est ta diplomatie qui avait raison contre mes préjugés ! D’ailleurs, apaise-toi : Tiburce serait parti malgré ta défense ; il était si convaincu ! »

— « C’est possible, et j’éprouve un étrange soulagement à le savoir désabusé. Un si bon garçon dans de telles erreurs !… Mais, j’y pense, François, comment toi, connaissant la vérité, pouvais-tu te laisser reprendre à ces sornettes ? »

— « Depuis qu’on m’a enseigné ce que c’est que l’aérarium et ce que sont les Sarvants, me dire que Marie-Thérèse est la proie des Sarvants dans l’aérarium… c’est cela que mon esprit ne peut pas supporter, et non les idées folles, non les folies encourageantes ! »

— « Du courage, mon frère. Je t’aime aussi. Du courage. »

— « J’en aurai. J’en ai. Mais Je suis écroulé… Je vais tâcher de dormir un peu. Laisse-moi, mon petit lapin, veux-tu ? »

Quand sa sœur se fut retirée, le duc d’Agnès sentit un isolement plus absolu qu’il ne l’avait désiré. Partout, désormais, ne serait-il pas seul comme il était seul dans cette salle ? Pouvait-on n’être pas seul en l’absence à jamais de Marie-Thérèse ?…

Il tendit vers le ciel des Sarvants la menace et la vanité de ses poings, et tout à coup lui vint une ivresse d’amertume, un désir forcené de souffrance et de sanglots.

« Ah ! » songeait-il comme un enfant gâté. « On veut que je sois malheureux ! Ah ! on le veut ? Eh bien, je le serai, malheureux ! et même au delà de ce qu’on veut ! »

Ainsi l’homme prétend toujours avoir raison de sa destinée.

Pour endeuiller encore son effroyable solitude, le duc pensa donc à s’ensevelir au noir linceul de l’obscurité.