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le péril bleu

— « Je demande la parole» fit M. Le Tellier.

On la lui donna. Le silence s’établit.

— « Messieurs, » commença-t-il, « avant d’anéantir ou de coloniser le monde invisible, la France scientifique doit encore travailler des lustres et des lustres.

» À la hauteur de cinquante kilomètres nulle bombe ne saurait parvenir, du moins utilement. Car, si elle arrivait jusque-là, son explosion dans le vide ne produirait que d’insignifiantes dégradations. Par contre, en retombant sur terre avec une force de bolides, les shrapnells non éclatés y provoqueraient des malheurs irréparables. Voilà pour l’anéantissement.

» Voyons la colonisation. Les appareils dont nous disposons ne peuvent nous transporter là-haut. Sur une profondeur de vingt-cinq mille mètres environ à partir du niveau atmosphérique, l’air est trop raréfié pour soutenir nos ballons, nos aéroplanes et nos hélicoptères. Vouloir y voler correspond à vouloir nager dans le brouillard. Folie.

» Même, si nous savions organiser un navire aussi léger, précis et résistant que l’aéroscaphe, — si l’aéroscaphe radoubé reprenait du service, — il ne pourrait monter que six hommes à la fois. Et il faudrait connaître la manœuvre ! Aussi bien l’aéroscaphe n’est-il pas raccommodable ; nous sommes impuissants à le reproduire ; et le moteur serait trop lourd que nous mettrions à la place des dynamos-crapaudiques, — pardonnez-moi cette néologie barbare.

» Et puis, là-haut, messieurs, comment vivre ? J’entends bien qu’il existe des respirols contre l’asphyxie ; mais quel scaphandre inventer contre la dépression ? quelle cuirasse hermétique et cependant articulée ?…

» Non, non, il ne faut pas songer à démolir le continent superaérien, qui d’ailleurs tient peut-être un emploi fondamental dans l’économie de la planète, — qui est peut-être un précieux condenseur de calorique solaire, — et dont la disparition entraînerait peut-être celle de la faune terrestre, y compris certain orang dégénéré, tyrannique et vicieux, qui nous est cher de tout notre égoïsme.

» Et ne songez pas non plus à coloniser ce monde,