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la vérité sur les sarvants

Ils ne déguisaient rien, mais tâchaient seulement d’être stoïques.

C’est alors que le Péril Bleu apparut dans tout son horrible et tout son formidable, quand on apprit tout net qu’au-dessus des hommes, sur un globe invisible plus immense que la Terre et l’enveloppant de toutes parts, vivait une autre race d’êtres intelligents qui semblaient bien nous avoir attaqués, — race redoutable par sa position, sa force, son mode vital, son génie et son invisibilité, qui faisaient de nous comme une bande d’aveugles cernée.

L’humanité frémit d’une même épouvante, et son émotion s’aggravait bizarrement de ce que les deux formes connues des créatures du vide fussent précisément celles des animaux terrestres les plus répulsifs, auxquels des siècles de fréquentation journalière n’avaient pu la rendre insensible.

Le sort des prisonniers cessa d’intéresser l’opinion ; les gens craignaient pour eux-mêmes trop de calamités. La répugnante immixtion de crapauds et d’araignées dans nos affaires préoccupait toutes les rêveries (car il importe de noter qu’au début, le populaire ne faisait pas de différence entre les Sarvants et leur bétail dynamique). Malgré les enseignements de M. Le Tellier, l’assurance d’une invasion imminente persista fort longtemps ; l’armée s’attendait à être mobilisée d’un instant à l’autre.

En vingt-quatre heures, l’effroi devint mondial. Une soif de science dévora jusqu’aux tribus arriérées. Les ignorants se faisaient initier aux rudiments de l’optique et de la météorologie ; les clercs poussaient leur savoir aux derniers arcanes. À l’étalage des libraires, la brochure de Jean Saryer, Essai sur l’invisible, s’épuisait en éditions polyglottes. Contre l’autorisation de publier le cahier rouge, le Journal, le Daily Mail, le New-York Herald, le Novoïé Vrémia et la Gazette de Cologne offrirent des fortunes à M. Le Tellier, qui refusa.

Cette fin du monde, appréhendée depuis quelques mois, semblait tout de même arrivée. Les églises et les temples, les synagogues, les pagodes et les mosquées regorgèrent de multitudes horrifiées, en ferveur machinale, et les tavernes fabriquèrent des ivrognes à la dou-