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le péril bleu

cette portion, dans la crainte que les corps des matelots invisibles ne s’en retournassent au ciel comme le premier. Nulle part on n’avait tâté d’objets ressemblant à des cadavres ; il était hors de doute que les marins s’étaient réfugiés à l’avant, tous, dans le meilleur asile du sous-aérien, laissant à l’arrière un de leurs camarades. Dévouement ? Punition ? Accident ? Hasard ? On ne le saurait pas.

Des tarières, à l’extrémité de flexibles, percèrent des trous d’aération dans les étanches de proue. Il y avait encore du vide aux compartiments du haut. Les autres se trouvèrent accessibles par le moyen de portes en métal souple qui s’enroulaient à l’imitation de nos stores, comme les fermetures de nos boutiques.

Une série de petits réduits très bas… M. Le Tellier et M. d’Agnès, courbés en deux, avançaient prudemment… Le cœur cogné de forts battements, ils arrivèrent auprès du levier de Virachol. Le duc, se baissant, ramait dans l’air avec ses mains…

— « C’est au plafond qu’il faut chercher », lui dit l’astronome. « Tenez ! Ha ! »

Cinq corps inertes, maintenus contre le plafond par leur étonnante légèreté, furent palpés l’un après l’autre et reconnus pour cinq corps humains. — Comme on s’y attendait, l’énorme pression anormale les avait cruellement déformés ; ils présentaient des boursouflures et des rugosités, dues à cette mort épouvantable qui tuméfie si horriblement les cadavres noyés au tréfonds de la mer. — Mais ce qui surprenait au delà de toute expression, c’était que les Sarvants fussent des hommes, — des hommes spéciaux, cela va de soi, et cependant des hommes ! Quoi ! ces êtres du vide, ces créatures invisibles, presque impondérables, privées de système circulatoire, dénuées d’appareil respiratoire, ces collectionneurs et ces bourreaux d’hommes, étaient aussi des hommes ?!!!

Sans s’attarder à de vaines réflexions, M. Le Tellier les fit charger de lourdes chaînes, afin qu’ils ne pussent s’envoler. On apporta des cercueils de zinc remplis de glace, où furent couchés les invisibles trépassés. Puis M. Le Tellier les remit au docteur Monbardeau, avec