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le péril bleu

pourquoi êtes-vous surpris de ne voir point passer les Sarvants ? Pourquoi, vous qui admettez des choses impalpables, reconnaissez-vous à contre-cœur et avec stupéfaction l’existence de choses invisibles ?

» Notre émerveillement en présence du Péril Bleu provient de ce que ces corps invisibles nouvellement révélés sont solides, et que l’invisibilité et la solidité sont deux qualités de la matière qui ne se trouvent pas réunies dans les conditions habituelles où s’exercent notre vue et notre toucher. — Cependant ! Cependant, même avant notre premier contact avec le monde invisible, nous avons assisté déjà à la rencontre de ces deux qualités dans un même objet. Un corps solide, animé d’un mouvement rapide, ne se voit plus : un projectile dans sa trajectoire, une hélice qui tourne à l’abri du soleil. Et, autre exemple fort différent de solide invisible : un vase de cristal incolore plongé dans une eau pure qui a le même indice de réfraction. — Incolore, ai-je dit. Mais une chose incolore est déjà invisible, et vous avez sans doute admiré des panneaux de glace si incolores, si aériens sous le rapport visuel, que les fenêtres qu’ils closent semblent toujours grandes ouvertes.

» Or, remarquez, je vous prie, que, de toutes ces substances dont nous parlons, quelques-unes au moins sont aussi importantes dans l’univers que l’argile périssable de notre corps. »

— « N’importe ! » repartit le duc d’Agnès, « instinctivement, on est tenté de nier la réalité de ce qui est invisible. »

— « Eh oui : parce que la vue est celui de nos sens qui a le plus vaste domaine ; c’est le sens que nous disons principal, et voilà pourquoi vous contestez l’existence des choses qu’il n’apprécie en aucune façon. Mais imaginez un être qui ne serait doué que d’un sens unique, l’odorat par exemple (un tel être n’est pas absurde, il doit se trouver dans la multitude des créatures), et songez alors à l’infinité de choses dont il nierait l’existence ! Toutes les choses inodores ! Cet aveugle démentirait la réalité de toutes les choses visibles qui n’auraient pas de parfum !…

» Nous lui ressemblons. Vis-à-vis de l’aréroscaphe, des