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suite du journal

mon appareil photographique, — certainement pour voir ce que j’en ferais. — L’appareil est cassé ; j’en pleurerais !… Avec la jumelle, je commençai à passer la revue des hommes. Mais beaucoup me tournaient le dos. Je n’ai reconnu personne. Près de chaque pensionnaire de l’aérarium — même près de chaque animal — on avait glissé nuitamment des feuilles de salade, des carottes et de l’eau très belle qui affectait la forme intérieure de son vase invisible : un œuf aplati par le haut et le bas. C’est un drôle de spectacle. — Mon voisin dévorait sa salade… En dessous de lui, un chien de berger lapait son eau ovoïdale…

Dans le but de correspondre avec mon voisin, j’écrivis sur un carnet « Parlez-vous français ? » et lui présentai la page. Il secoua la tête et se remit à dévorer sa salade…

Mais alors un autre jeune homme, très maigre, occupant la cellule d’après, attira mon attention par des mimiques. Aux questions de mon carnet il répondit par gestes, n’ayant ni papier ni crayon. J’ai cru comprendre qu’il était reporter et qu’il avait été enlevé dans les environs de Culoz. Il semble avoir peur d’une chose que je n’arrive pas à saisir.

Un incident troubla cet entretien. Vers le nord, je vis s’élever de la Terre un point noir. À la jumelle, c’était un homme. Il semblait lancé par une baliste. Il s’arrêta à 3 kilomètres de nous (en horizontale), à l’endroit où je suis arrivé hier : au débarcadère. Nous le vîmes soulevé par la grue, puis véhiculé au flanc de notre colline, — peut-être à travers des rues et des boulevards invisibles ? — Mes codétenus le regardaient attentivement. Ils paraissaient heureux de ne pas le reconnaître… Il fut hissé à mon niveau. Mais on n’en fit pas mon voisin immédiat ; on laissa entre lui et moi, le long de la façade, l’espace de deux cellules environ. (Cette solution de continuité se répète à tous les étages et marque le milieu de l’aérarium, côté