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le péril bleu

d’exemple qu’on ait pris deux objets semblables ; même pour les branches. Si deux branches de poiriers manquent à l’appel, c’est qu’un des poiriers est en feuilles et l’autre, en bourgeons. Il n’y a pas deux choux de la même espèce qui aient été razziés. Les volailles emportées ne sont pas de même race…

… Aucune marque d’escalade sur le mur de l’auberge, ni sur la façade de la mairie, à Seyssel. Aucune, non plus, sur les tuiles de la flèche d’Anglefort…

… La façon d’évacuer, sans laisser de trace, charrue, brouette et autres corps de délit pesants et volumineux, est aussi un problème… L’emploi d’un ballon dirigeable expliquerait tout ; mais ce serait, pour une simple farce, un matériel étrangement disproportionné… Les histoires les plus fantastiques courent les rues. Le Diable y rejoue son vieux rôle. On ne peut croire personne… La statue grandeur nature, volée dans un jardin d’Anglefort, est devenue un cauchemar. Elle est assez belle, au dire des paysans, et « peinte de manière à simuler une personne ». Sans doute quelque ignoble coloriage…

… Un garde de l’État, descendu de la forêt, m’a dit avoir entendu sous bois, en plein jour, des espèces de détonations sèches, pareilles aux claquements d’un fouet. Considérant qu’il a trouvé par là des arbres décapités, il impute ces bruits, ces « clac », au jeu d’une forte cisaille. Il dépose également qu’il a mis le pied dans une petite flaque de sang frais, dont il est incapable d’interpréter la formation sur le sol, attendu qu’elle ne se trouve pas sous un arbre (d’où quelque bête aurait pu saigner) mais dans une clairière ; qu’elle n’est mêlée d’aucun débris de plume ou de poil, et qu’elle n’est entourée d’aucun vestige de bataille. Cet homme m’a fait l’impression d’un nerveux suggestionné par les racontars, puis halluciné par la solitude. Requis par moi d’avoir à développer son idée, il n’a plus voulu parler.

Conclusion. — Nous avons affaire à une association d’individus armés de puissants moyens d’exécution, c’est-à-dire abondamment pourvus de capitaux, et dont le but immédiat est de terroriser leurs victimes. (Les deux manouvriers que l’on surveille doivent être seulement des complices.) — Mais cette terreur est-elle répandue pour elle-même, ou bien comme une sorte d’anesthésique préalable ? Est-ce la comédie ? ou n’est-ce qu’un prologue ? Et alors est-ce le prologue d’un drame ?

Ce n’était ni ceci, ni cela.

Ou plutôt, c’était ceci et cela, tout à la fois.