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le cahier rouge

— « Excusez, monsieur, » fit la concierge, qui venait d’entrer, « il y a en bas des monsieurs qui disent qu’ils vous attendent. »

— « Ah ! l’auto ! C’est vrai !… — Vois-tu, Calixte, je suis absolument forcé d’aller à cette course… Et me voilà en retard déjà… Tiens : tu vas venir avec moi. Je t’emmène. Nous lirons le cahier en route. Viens comme tu es ; viens… — Mon bon petit Robert ! Quelle perte ! Quelle perte !… »

Parmi la foule déambulante, une centaine de badauds faisaient cercle autour de l’automobile. Cette quatre-baquets fastueuse les intriguait d’être si longue et si basse, peinte en gris souris comme un torpilleur, d’être montée par deux chauffeurs à la livrée kaki, brassardés d’un ruban tricolore, et d’avoir en guise de lanternes deux flammes aux couleurs de l’Aéro-Club, organisateur sportif de la journée.

Les chauffeurs ôtèrent la casquette. L’un d’eux remit à M. Le Tellier le brassard blanc des commissaires officiels.

— « Dépêchons-nous, Monsieur, » lui dit-il d’un ton respectueux, « on va manquer le départ, il n’y a pas d’erreur. »

Mais M. Le Tellier estimait à présent que la course était secondaire, et, pendant que la voiture démarrait avec un brio de 90-HP conduite par un mercenaire impitoyable aux pneus, il commença de lire à M. Monbardeau ce que Robert avait tracé pour lui, d’un crayon net et régulier, du moins aux premières pages.

Il en était à la cinquième ligne, quand l’un des hommes kaki se retourna :

— « Je crois que ce n’est pas la peine d’aller jusqu’à l’esplanade… Il n’y a pas d’erreur : un monde fou… Jamais nous n’arriverions… Si Monsieur veut, on pourrait prendre par la Concorde et la rue Royale, et puis enfiler les grands boulevards. Comme ça, on les verra passer, et ça sera toujours ça de gagné pour arriver plus tôt à la sortie de Paris… Il n’y a pas d’erreur. »

— « Faites comme vous voudrez », dit l’astronome.

Et il reprit sa lecture interrompue.