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le péril bleu

Pendant leurs investigations matinales, M. Monbardeau et M. Le Tellier rencontrèrent des hommes et des femmes qui se livraient à la même besogne funéraire. C’étaient les parents ou les amis des disparus. On ne sait quelle insupportable angoisse les avait chassés de leurs taudis fortifiés, au risque d’être enlevés à leur tour. Plusieurs venaient de très loin. La réclusion les avait jaunis ; le grand jour faisait cligner leurs yeux constamment. Ils vagabondaient sans méthode et parfois sans projet. Un soleil formidable frappait leurs têtes ivoirines, à l’ombre depuis si longtemps. L’insolation les tuait ou les faisait se tuer. L’ardente brise du sud-est balança d’autres pendus.

À cause de cela et des chiens enragés, des renards, des loups (de quelques ours, a-t-on dit), à cause des maladies de toutes sortes, on mourut encore beaucoup dans le Bugey, du 11 août au 4 septembre. Mais il est prouvé que le Sarvant n’y contribua d’aucune façon, bien que le contraire ait été soutenu par une foule d’obsédés.

M. Le Tellier s’opposa de tout son pouvoir à ces sorties meurtrières, qui prirent fin d’elles-mêmes.

L’époque de leur cessation coïncidant avec un mieux sensible dans la torpeur de son fils, l’astronome résolut de se rendre à l’invitation pressante que le duc d’Agnès lui avait faite au cours d’une lettre en date du 22 août (pièce 618) et d’aller passer à Paris quelques heures de détente, — ce qui, entre parenthèses, lui permettrait de témoigner au duc un peu de sympathie et de gratitude.

Cette lettre, nous ne la reproduirons pas. Elle est fort longue. M. d’Agnès y mande à M. Le Tellier qu’on a fixé au 6 septembre le duel de vitesse entre son aéroplane et le dirigeable de l’État. Il rappelle le nom de sa machine : l’Épervier ; donne celui de l’aéronef : le Prolétaire ; fournit des renseignements techniques sur la course, et souhaite vivement que M. Le Tellier assiste à la lutte et juge par lui-même de l’hippogriffe moderne sur lequel on va poursuive les ravisseurs de sa fille. Il dit que son monoplan fait plus de 180 à l’heure, mais que sa rapidité n’est rien comparée à sa stabilité. Ce n’est pas encore l’équilibrage automatique, mais c’est déjà « quelque chose de rudement bien. — Partant de ce prin-