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l’amorce

La démente recula dans les broussailles, jusqu’à disparaître.

À ce moment précis, le corps de Maxime fut cahoté d’un grand soubresaut, et retomba. La stupeur des assistants se prolongeait. Pareil au regard du serpent, fascinateur des yeux, — le bourdonnement du Sarvant magnétisait leurs oreilles.

Puis cette sonorité obscure et grave sembla tout à coup s’affaiblir, s’éloigner au fond des poitrines, et l’on n’entendit plus que la nature et le matin.

M. Le Tellier interpella Mme Arquedouve. Il était si bouleversé, que l’aveugle ne savait pas qui venait de parler.

— « Ma mère, je vous demande si vous croyez qu’ils sont partis… ou du moins si… la force n’est plus là… si le fluide est remonté… si l’aimantation a cessé d’agir… »

— « Il n’y a plus rien, à ma connaissance. »

— « Comment ! » dit M. Monbardeau. « Ils auraient abandonné Maxime ?… Oh ! alors, c’est qu’il est mort ! Vite, allons voir !… C’est qu’il est mort ! Ils n’ont que faire d’un cadavre, ces vivisecteurs ! Voilà pourquoi ils l’ont laissé ! »

Tous ensemble ils marchaient vers la forme étendue.

— « Ah ! saperlotte, saperlotte ! » fit tout bas le médecin. « En pleine tête ! En plein rocher ! Ah ! saperlotte !… — Non ! » s’exclama-t-il. « Pas mort ! Il respire !… Vivant ! mais il a bien l’air d’un mort. Ah ! les canailles ! Ils n’ont pas vu ça de là-haut, avec leurs télescopes ! Ça ne m’étonne pas, d’ailleurs, à cinquante kilomètres ! »

— « Vivant ? » Mme Le Tellier sortait du bois. « Vivant ? Maxime ?… Il nous reste et je ne l’ai pas tué ?… »

Elle riait aux éclats, la chère bienheureuse dame ; elle embrassait le visage inanimé de son garçon. Et sa chevelure dénouée, mi-partie rousse et blanche, s’épandait bizarrement.

Or déjà, sans distinction de sexe, les vieux serviteurs et les jeunes domestiques buvaient l’alcool qui suit les passes émouvantes.

Et ce fut ce jour-là, onzième du mois d’août, que le vent de sud-est commença de souffler.