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la campagne hantée

cambrioler : au sommet d’un arbre, au pignon d’une toiture, au fronton d’une mairie ; et comme les malicieux personnages ont soin d’effacer toute trace des pieds de leurs échelles, deux légendes sont nées qui courent le pays, l’une de spectres géants, l’autre de spectres grimpeurs !

Maintenant, où se cachent les sacripants durant la journée ? Où vont-ils déposer le fruit de leurs larcins ? Autant de questions qu’il serait facile de résoudre, si les campagnards voulaient bien passer la nuit à l’affût. Mais ils s’enferment à double tour, et quand les chiens aboient, ils se cachent sous leurs couvertures. Quelques esprits forts veillent cependant, et des policiers avec eux. Par malchance, toutes les fois qu’ils s’embusquent dans un village, les déprédations s’accomplissent dans un autre. — D’après moi, la troupe (car ils sont plusieurs, à n’en pas douter) se retire avant le jour au fond des bois du Colombier, qui déverse ses dernières pentes jusqu’aux villages maraudés, à l’ouest. C’est là qu’ils se dissimulent et qu’ils enterrent leur butin, à moins qu’ils ne l’enfouissent dans les sables du Rhône, lequel, tu le sais, coule tout au long de ces communes, de l’autre côté, à l’est.

Une énigme plus malcommode à déchiffrer, par exemple, c’est l’absence de piste d’arrivée et de départ. Ah ! ce sont des malins. Et ils ont juré d’affoler cette région.


Je reprends ma lettre, interrompue un instant. Il paraît qu’Anglefort a été saccagé cette nuit. On ne s’y attendait pas. Les habitants faisaient les farauds, quand j’y suis allé. Ils traitaient leurs voisins de jobards ou de menteurs, les accusant même de simulation… Eh bien ! ça y est ! On leur a pris une brouette, une charrue, des branches encore (beaucoup moins), un épouvantail à moineaux dans un champ de blé tendre (quelques vieilles défroques sur une perche) et une statue dans le jardin de ma cliente. C’est le domestique de cette dame qui vient de me l’annoncer. Je ne sais pourquoi, mais ces deux derniers vols paraissent l’avoir ému davantage (lui et tout le monde là-bas). Je ne vois pas ce qu’il y a de si troublant au rapt d’un mannequin de guenilles et d’un bonhomme en plâtre…

On a soustrait aussi des volailles et… Mais je veux te narrer l’histoire ; elle est amusante.

Une vieille bigote, dont la maison s’appuie au chevet de l’église, entendit, cette nuit, du bruit. Quel bruit ? On n’a pu le lui faire spécifier. Elle dormait encore. Elle a dit s’être éveillée au moment où le bruit cessait. Mais alors elle distingua très nettement le cri d’un coq. Ce coq chantait dans les ténèbres, et son chant venait d’en haut et du clocher ! Ce n’était pas, du reste, une fanfare d’aurore, pas l’aubade classique