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le péril bleu

nous semble, au contraire, que l’aspect des troupes les eût rassurés) mais aussi la peur d’une gigantesque plaisanterie plus ou moins cléricale. Les Camelots du Roy, par exemple, étaient capables de toutes les impertinences, du moment qu’il s’agissait de ridiculiser le régime.

À la vérité, cette œuvre de l’État, on avait décidé de la continuer jusqu’à la victoire. Mais il se produisit plusieurs disparitions impressionnantes de sentinelles avancées, d’agents solitaires… Et l’on dut couper court à cette traque phénoménale, pour éviter les refus d’obéissance et les défections.

L’existence des Sarvants n’étant pas officiellement reconnue, on cachait avec plus de soin encore que les recherches se poursuivaient dans toute la France et même fort au delà. Car, — sans comprendre pourquoi leur champ d’action se réduisait aux parages bugistes et s’étendait si lentement, — on soupçonnait les brigands d’aller très loin déposer leurs prises. L’échec des perquisitions régionales semblait en faire foi.

Impuissant à découvrir quoi que ce fût et craignant l’extension d’un mal dont la gravité lui apparaissait de jour en jour, le gouvernement jeta le masque et s’efforça d’organiser un système protecteur, dans le but de circonscrire le fléau. Il édicta des mesures préventives — des dispositions de prophylaxie, pour ainsi dire — applicables sur tout le territoire. Et alors les populations qui n’avaient pas subi la tyrannie du Sarvant se prirent à la redouter.

Celui-ci n’augmentait son empire qu’insensiblement, c’est entendu. Mais là, c’était l’abomination de la désolation.

Les services administratifs, la vie sociale, n’y fonctionnaient plus. Le pays se vidait peu à peu de ses habitants. Depuis le rapt de Mlle Le Tellier et de ses cousins, chaque enlèvement avait provoqué de nouveaux départs. Il était arrivé à Lyon, à Chambéry, des trains bourrés de paysans, et la frontière suisse avait vu l’exode des réfugiés français. La panique les saisissait tout d’un coup ; pour subsister ailleurs, ils vendaient leurs bestiaux à vil prix ; quelques-uns cédaient leurs champs et leur ferme ;