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le péril bleu

t’en !… Ah ! aaaaaah ! À reculons ! Voilà qu’il s’en va à reculons ! Et vite !…… Ici nous sommes à couvert, oui, mon petit, bien à couvert sous la charmille…… Comme Marie-Thérèse !… Il est avec elle, au ciel. C’est un veau qui l’a enlevé. Ce n’est pas un ange, c’est un veau. »

M. Le Tellier, ahuri d’une telle divagation et redoutant le trouble qu’elle devait fomenter dans le cerveau même qui l’enfantait, essaya de lui donner au moins un semblant de suite rationnelle. Il posa des questions. Mais on aurait dit que Mme Le Tellier ne les entendait pas.

Dieu sait pourtant que l’astronome eût voulu connaître quelque chose ! Car cet enlèvement sous une charmille, au grand jour, par un ciel sans nuages, dans un parc des plus fréquentés, puis encore le salut de Mme Le Tellier — cette grâce accordée ou bien ce coup manqué, si contraires aux habitudes des Sarvants —, c’étaient là de véritables phénomènes.

— « Voyons, ma Luce, de quel veau parles-tu ? »

— « Il est parti… Il est parti… » gémissait la détraquée.

— « Tu dis qu’il glissait, ce veau… comment ? »

— « Lâchez-moi ! »

— « Oui : tu as été saisie rudement… Ta blouse est déchirée comme par des crocs, à droite et à gauche… Mais il n’y a plus personne. Calme-toi… Ne fais pas ce geste toujours, ma petite Luce ; il n’y a plus de Sarvants. »

— « Maxime ! Maxime ! »

— « Eh bien : comment est-il parti, Maxime ?… À travers les feuilles du berceau, n’est-ce pas ? comme attiré vers le ciel ?… Le feuillage empêchait de voir le ballon dirigeable ?… Comment est-il parti, Maxime ? »

— « C’est un veau ! »

M. Le Tellier recula, effrayé par le problème de la folie dressé contre lui pour la première fois. Hélas ! il n’y avait sur le lit de sa femme qu’un pauvre corps sans âme, une misérable moitié d’être humain… Et le savant regardait cela du fond de sa pensée. Et il se disait :

« La science ne sait pas plus où va l’esprit des fous qu’elle ne sait où vont les prisonniers du Sarvant. Ce sont d’atroces disparitions. Et pourtant, depuis que les hommes