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le péril bleu

regards d’inquiétude. Enfin M. Le Tellier prit une résolution.

— « Il ne s’agit pas de pleurer », dit-il sévèrement. « Il s’agit de comprendre, et de causer. Cette disparition est identique à celle de ta sœur et de tes cousins ; travaillons-la. — D’abord, tu parais certain que c’est un enlèvement ? »

— « Oh ! oui ! Elle se débattait. Elle résistait. Et si ç’avait été une force aveugle, moi aussi, César aussi, nous l’aurions éprouvée… »

— « Bien. Mais, tout à l’heure, tu parlais d’un bouchon… A-t-elle donc été lancée par une impulsion venue de la terre, cette enfant ? »

— « Non, non, ça n’en avait pas l’air. »

— « En effet : sur le Colombier, la neige ne décelait rien de pareil… »

— « Elle s’est enlevée, » dit le jeune homme, attendri d’alcool et de compassion, « elles est enlevée comme une pauvre petite sainte Vierge affolée…, comme un pauvre petit pantin qu’on retire du guignol avec une ficelle… »

— « Oui, mais tu n’as pas vu de ficelle…, de câble ?… »

— « Il n’y avait rien. Il n’y avait pas un fil. »

— « Eh bien !… hum ! à la rigueur, tout peut s’expliquer… Le ballon des Sarvants devait être dissimulé dans les nuages, où nous savons qu’il se plaît à vaguer sans être aperçu. Il n’est pas difficile de s’imaginer qu’ils possèdent un moyen de voir au travers, ne fût-ce qu’à l’aide d’un tube, un simple tube perçant le matelas de nuages au-dessous d’eux, et qui serait d’un diamètre trop minime pour être vu d’en bas.

» Quant au rapt à distance… »

— « Dites, papa : s’ils aspiraient leurs victimes ?… J’ai remarqué, dans la nuée, un grand tumulte qui pourrait bien avoir été causé par un souffle véhément… un courant d’air allant de bas en haut… »

— « L’as-tu senti ? »

— « Non ; vous avez raison. Je n’ai même pas senti la brise cette fois-ci… Je n’y suis plus… Ah ! quand on a vu ça !… »

L’attendrissement revenait. M. Le Tellier se dépêcha d’occuper son fils avec d’autres considérations, plus ou moins fantaisistes :