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assomption

Bientôt Maxime fut installé devant son chevalet, sous les premiers arbres du bois, le gamin près de lui.

— « Veille bien ! » dit-il par acquit de conscience.

— « N’a pas paou », répondit César endoctriné. « On lo vara beîng veni ! »

La bambine, ravissante, laissait pendre ses petons dans leurs gros brodequins à semelle de tilleul. Un vieux chapeau de paille ombrageait l’ébouriffement blond de ses cheveux. Entre ses menottes rouges l’accordéon s’allongeait, puis se ramassait, et scandait du même rythme sautillant la ribambelle infatigable des chansons monotones. Autour d’elle, les vaches et les chèvres dispersées faisaient sonnailler leurs cloches. Et les clochettes des narcisses carillonnaient leurs parfums.

— « Veille bien ! » répéta Maxime, étonné lui-même de sa méfiance.

César ne quittait pas des yeux le ciel chargé qui semblait glisser d’une seule pièce, sous la poussée d’un vent de fournaise. Parfois, les créneaux de la muraille démêlaient un nuage plus bas que les autres.

Au son d’une clarine violemment secouée, Maxime détourna son regard de la chanteuse.

— « Hé ! » dit le berger, « vica la Rodzetta qué s’éfra ! »

« La Rodzetta » c’était une chèvre rousse qui, s’étant écartée, revenait au galop, avec des bonds et des bêlements. — Est-ce que…

Est-ce qu’elle n’avait pas l’air de fuir ?… d’être poursuivie ?…

Maxime leva les yeux, et fut rassuré. Le ciel était désert ; il s’écoulait toujours uniformément, tel un fleuve renversé de plomb fondu, bas et chaud, — mais désert.

Césarine chantait à l’envi… Mais tout à coup sa mélopée s’aiguisa en un cri perçant. L’accordéon se tut et tomba…

Debout sur le roc et bouleversée de gestes fous, convulsionnée dans une attaque d’épilepsie ou dansant une sinistre danse de Saint-Guy, la petite frappait l’air en tous sens et poussait d’affreux hurlements.

Ses cris et la panique tintinnabulante des bestiaux