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le péril bleu

— « D’accord. Vous l’avez vu, même, à travers des besicles, et même des besicles d’or… Vous avez l’imagination et la vue trop riches ! »

— « Ne badine pas, Maxime », reprit son père. « Certes, rien n’est sûr. Ce que je vais dire n’est sans doute qu’une façon de traduire ma pensée, et pas autre chose… Aussi bien, c’est en essayant des formes diverses à la même idée qu’on parvient le mieux à la préciser, donc à la juger… Mais enfin : tout se passe comme si des êtres de tout genre se trouvaient doués, de but en blanc, de la vertu de s’envoler, — sous l’influence d’une force quelconque, mais probablement naturelle.

» Je dis naturelle, parce que cette force, ayant agi sur un oiseau (qui n’en avait guère besoin, puisqu’il volait déjà auparavant) ne saurait être qu’une force aveugle de la nature.

» Dès lors, quoi d’étonnant à ce que des hommes, animés de mauvais instincts et poursuivant je ne sais quel but, aient profité de cette faculté subitement acquise ? Quoi d’étonnant à ce qu’elle ait fait germer les pires desseins dans l’âme d’honnêtes gens promus tout à coup seigneurs de l’atmosphère ?… »

— « Avec votre théorie, » répliqua Maxime en ricanant, « vous expliqueriez la triple disparition du Colombier par l’essor de Marie-Thérèse et de nos cousins, sans avoir recours à l’hypothèse de ravisseurs… »

— « Mais non ! » répondit patiemment M. Le Tellier. « Dans ce cas, ils seraient revenus. D’ailleurs, les pas sur la neige révélaient un drame, un enlèvement. Non, ce serait absurde ; mais je te réponds quand même, parce qu’il est scientifique d’examiner tous les arguments qui se présentent. »

— « Alors, que faites-vous de mon dirigeable ? »

— « C’est un ballon comme les autres. Tu ne connais pas tous les modèles… Et puis, tu ne pouvais pas le voir suffisamment, à cause du brouillard et de la vitesse. Pour moi, il était piloté par un de ces risque-tout, de ces chauffards, qui croient que la route de l’air leur appartient. Et voilà. — Qu’en dites-vous, Robert ? Vous avez la mine perplexe… »

— « Maître… Maintenant, vous croyez donc que mon aigle était un aigle véritable ? »