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autres faits contradictoires

les ondes couvraient toute la plaine et que les monts jetaient des flammes… La lune, à sa droite, sortit du haut de la Chautagne, énorme et d’un rouge foncé, telle qu’un tiède soleil préhistorique. Et Maxime songeait aux hommes primitifs, en butte à l’angoisse multiple d’un monde qu’ils ignoraient, pauvres jouets d’éléments inexpliqués dont chaque manifestation devait leur paraître surnaturelle, et qui devaient mourir persuadés d’avoir vécu parmi les prodiges.

La lune éparpillait des touches carminées à la surface du brouillard.

L’automobile descendit la côte, et plongea dans la nue stagnante.

Cette brume était assez dense : Maxime voyait la route se perdre à dix mètres du capot. Il embraya la seconde vitesse, franchit un ponceau, fit à gauche un tournant et longea la prairie de Ceyzérieu, invisible. Après le pont de la Tuilière, force lui fut de ralentir encore : le chemin, sinueux, devenait plein d’embûches.

Dans la pénombre blanchâtre, les boqueteaux dressaient une succession de masses incertaines que l’éloignement estompait à mesure. Les petites clairières paludéennes fumaient doucement.

Tout à coup, Maxime freina, sec, et saisit d’une étreinte crispée le poignet du mécanicien.

— « Regardez ! Qu’est-ce qui passe là-bas ?… »

Devant eux, au fond du brouillard, tout près du sol, une forme allongée, monumentale, — une espèce de grand fuseau, une silhouette de ballon dirigeable enfin, se faufilait, vive et rapide, entre les bouquets d’arbres… Elle s’enfonça dans la brume, que son passage avait bousculée et qui s’agita derrière elle en remous nonchalants. Ce fut seulement une apparition.

— « Avez-vous vu ? » demanda Maxime, au comble de la surprise.

— « Oui, monsieur Maxime. C’est un rude ballon ! Ce qu’il marche ! Du quatre-vingt-dix, au moins ! »

— « Pour sûr… Ah ! nous tenons la vérité ! » s’écria le jeune homme, en repartant. « Je savais bien, moi ! »

— « Ah ! monsieur Maxime, c’est peut-être pas ceux-là qui ont enlevé Mademoiselle… »